Jeunes paysan·ne·s
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Article de blog de Kibrom Mehari Gebremichael du 26.10.2022

Des conditions difficiles pour les jeunes paysan·ne·s

Des conditions difficiles pour les jeunes paysan·ne·s

Au Sud comme au Nord, les terres agricoles sont rares : les jeunes paysan·ne·s sont de plus en plus privés d'accès à la terre, et l'agriculture ainsi que l'avenir de notre système alimentaire sont menacés.

«Même avec un diplôme d’agriculture en main, on ne trouve pas de domaine agricole pour exercer notre profession ». C’est ce m’a raconté un jeune étudiant que j’ai rencontré dans un atelier à Genève, à l’occasion de la Journée mondiale de l’alimentation. Les mêmes propos ont été tenus au cours de la conférence. Pour les jeunes qui ne viennent pas d’une famille d’agricultrices ou d’agriculteurs, c’est très difficile, voire impossible d’accéder à des terres agricoles.

Face à la baisse drastique du nombre de terres cultivables au profit des habitations et des infrastructures et à l’explosion du prix des terrains, les jeunes, même diplômés, risquent de ne plus avoir de terres à exploiter. Alors que la population et les paysan·ne·s vieillissent et que les petites fermes disparaissent, comment assurer la continuité et la transformation de l’agriculture et de notre système alimentaire ? Sans les jeunes, comment peut-on faire évoluer l’agriculture pour qu’elle puisse atteindre les objectifs de lutte contre les changements climatiques, et d’autres objectifs sociaux et écologiques ?

Kibrom Mehari Gebremichael
Kibrom Mehari Gebremichael

Kibrom Mehari Gebremichael travaille à l'EPER en tant que chargé thématique pour le droit à l'alimentation.

 

Comment accéder à la terre en tant que jeunes milléniaux en Europe et en Afrique sans être déjà agricultrices ou agriculteurs ?

La question « comment accéder à la terre en tant que jeunes milléniaux en Europe et en Afrique sans être déjà agricultrices ou agriculteurs ? » était au cœur du vif débat auquel j’ai assisté le vendredi 14 octobre, à la Haute école du paysage, d’ingénierie et d’architecture de Genève (HEPIA), dans le cadre des Journées de l'agroécologie. Les jeunes et les étudiant·e·s de ces domaines sont venus nombreux, ce qui montre l’intérêt qu’ils portent à leur avenir. Les intervenant·e·s – un jeune fermier en agroécologie à Genève, une jeune agricultrice béninoise, des coordinatrices et des coordinateurs des associations sociales et paysannes de Genève et de Haute-Savoie – ont expliqué comment les lois foncières, les règlementations, les modes de financement en agriculture, et la politique agricole contraignent les jeunes et les milléniaux.

Pas de soutien pour les jeunes paysan·ne·s

Selon Valentina Hemmeler Maïga, Directrice générale de l’Office Cantonal de l’agriculture et de la nature, trois lois conditionnent l’accès à la terre pour les jeunes à Genève : la loi sur l’agriculture (LAgr), la loi sur le droit foncier rural (LDFR) et la loi sur l’aménagement du territoire (LAT). Or, aucune d’elles ne favorise les jeunes ou celles et ceux qui ne viennent pas d’une famille paysanne. Selon la LAgr, pour être considéré·e comme exploitant·e agricole, en plus de formations, il faut posséder des bâtiments, des machines et des finances adéquates pour pouvoir assumer des risques commerciaux – autant d’éléments qui sont inaccessibles pour beaucoup de jeunes. Les autres lois comme la LDFR, qui limite l’exploitation au seul titre personnel et interdit le partage de parcelles, ne sont pas non plus favorables aux jeunes.

Antoine Boudra, jeune agriculteur genevois, a été confronté à tous ces problèmes. Lui aussi était étudiant à l’HEPIA il n’y a pas longtemps. Il fait partie des rares d’entre eux qui ont obtenu un domaine agricole. S’il a une exploitation maintenant, c’est grâce à une opportunité qui s’est présentée il y a deux ans : il a pu s’associer avec un ancien agriculteur, qui lui a donné non seulement des terrains à cultiver, mais lui a aussi promis de payer ses assurances sociales s’il n’y arrivait pas lui-même pour cause de mauvaises récoltes. Autrement dit, il assume pour lui les risques commerciaux. En fin de compte, l’ancien agriculteur a fait tout ce que l’État aurait dû faire.

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Tout ce dont ils ont besoin pour cela, c’est d’autonomie et d’un accès à la terre.

Heureusement, Antoine n’est pas en échec. Dès le début, il s’est lancé dans l’agriculture biologique et est plein d’espoir pour sa deuxième année d’exploitation. Il nous a partagé les connaissances et les méthodes scientifiques qu’il applique, même avec très peu de machines. Les jeunes comme lui devraient exploiter tous les outils de technologie et de communication qui rendent l’agriculture plus écologique et durable. Tout ce dont ils ont besoin pour cela, c’est d’autonomie et d’un accès à la terre.

Les autres intervenant·e·s, quant à eux, cherchent des solutions pour répondre aux besoins des jeunes agricultrices et agriculteurs. Terre de Liens, une association française, vise à mobiliser les citoyen·ne·s pour l’accès à la terre des paysan·ne·s bio, principalement pour les jeunes et les nouveaux paysan·ne·s. Les membres de l’association constituent une épargne pour acheter des terres et les mettre ensuite à disposition des personnes qui souhaitent développer un projet d’agriculture de proximité, économiquement, écologiquement et socialement durable.

Des problèmes en Europe, mais aussi en Afrique

L’association les Jardins de l’Espoir au Bénin utilise la même approche. Certes, le contexte agricole en Afrique est bien différent de celui en Europe. Contrairement en Europe, qui est marquée par la concentration des terres agricoles et le vieillissement des paysan·ne·s, en Afrique, la tendance est à la division des terres et au rajeunissement des agricultrices et des agriculteurs. Les parcelles sont de plus en plus petites. En plus, en Afrique, « on s’attend à ce que les jeunes diplômé·e·s de l’université exercent des métiers plus “valorisants” que travailler dans les champs. C’est la culture qui les décourage de choisir cette profession », dit la jeune agricultrice béninoise. Aussi, l’association les Jardins de l’Espoir œuvre avant tout pour sensibiliser la population et former les jeunes non seulement dans la production, mais aussi dans la transformation des produits agricoles.

Malgré les différences entre les deux continents, les résultats sont les mêmes. Les jeunes sont de plus en plus privés d’accès à la terre, et l’agriculture et l’avenir de notre système alimentaire sont menacés. Il est temps de rendre la politique agricole plus favorable aux jeunes, non seulement pour leur épanouissement, mais aussi pour rendre l’agriculture plus durable. Sans renouvellement générationnel, on ne peut pas assurer la continuité de l’agriculture et des systèmes alimentaires et réaliser leur potentiel à lutter contre les changements climatiques.

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