Abgeholzter Wald in Brasilien
Christian Bobst
Article de blog de Silva Lieberherr et Nina Burri du 14.10.2022

Brésil : de nouvelles lois et de nouveaux produits financiers facilitent l’accaparement des terres

Brésil : de nouvelles lois et de nouveaux produits financiers facilitent l’accaparement des terres

Au Brésil, de nouvelles lois permettent au marché financier mondial d’investir dans les terres agricoles. L’Union de banques suisses (UBS) est notamment active dans ce business. Présentés comme durables, les produits financiers proposés dans ce cadre offrent de nouvelles opportunités d’accaparement des terres. En cas de crise de l’agro-industrie brésilienne, une grande partie des terres pourraient ainsi tomber entre les mains d’investisseuses et d’investisseurs internationaux.

Le Brésil possède un secteur agricole important et en plein essor. Désormais, des investisseuses et des investisseurs étrangers, des petit·e·s épargnant·e·s aux fonds spéculatifs (hedge fonds), peuvent investir dans les terres agricoles. L’option semble intéressante, rémunératrice, simple et sûre. Si l’investissement ne peut pas être remboursé, les terres sont attribuées directement à l’investisseuse ou à l’investisseur, sans considération réelle pour les droits fonciers. Du jour au lendemain, des terres utilisées par certaines personnes comme lieu de vie, voire comme source de rémunération, tombent entre les mains d’investisseuses ou d’investisseurs internationaux, sans même que leurs propriétaires initiaux n’en soient informés.

Cette situation est due à une série de nouvelles lois qui simplifient considérablement l’accaparement des terres au Brésil. Promues par le lobbying des grands groupes, elles offrent au marché financier mondial un accès sans entrave aux terres cultivables. En 2004 déjà, des lois permettant d’accéder au capital de l’agro-industrie brésilienne étaient votées : les fameux Agribusiness Receivable Certificates (CRA) ont alors été introduits. Ces véhicules financiers ont souvent l’air complexes et sont difficiles à comprendre pour les profanes. Mais ce qui se passe réellement derrière ces transactions n’est pas si compliqué : les entreprises agricoles brésiliennes ont besoin d’argent. À l’aide des banques d’investissement, elles créent des titres et utilisent leur fortune comme garantie. Les banques les transforment en fonds d’investissement, dont les investisseuses et les investisseurs du monde entier peuvent acheter des parts.

Silva und Nina
Silva Lieberherr et Nina Burri

Silvia Lieberherr, spécialiste du thème de l’accaparement des terres à l'EPER et Nina Burri, spécialiste des entreprises et des droits humains à l'EPER.

Des terres appropriées illégalement en guise de garantie

Au début, ces garanties concernaient l’ensemble de la fortune de l’entreprise. Mais depuis 2020, grâce à la « AgroLaw » du gouvernement de Bolsonaro (loi 13.986), les entreprises peuvent également utiliser les terres ainsi que les futures récoltes comme garantie, indépendamment du reste de l’entreprise. Ce qui est particulièrement délicat ici, c’est que les droits desdites terres ne sont pas vérifiés dans ce cadre. Il est donc possible que les terres servant de garantie aient été acquises illégalement ou soient habitées ou exploitées par certaines personnes. En cas d’incapacité de paiement de l’entreprise, la parcelle serait remise à l’investisseuse ou à l’investisseur international et les personnes qui y vivent se retrouveraient confrontées à lui ou elle.

Adoptée en 2021, la loi « Fiagro » (14.130) concernant les CRA dans les chaînes de production agro-industrielles va plus loin. Les investissements dans les terres agricoles brésiliennes sont possibles sans restriction pour toutes les investisseuses et tous les investisseurs dans le monde, sans qu’ils aient besoin d’avoir un compte dans le pays, et indépendamment de la monnaie brésilienne volatile. En outre, les restrictions relatives aux droits de propriété chez les personnes et les entreprises étrangères ont été levées. Si cet instrument financier est utilisé fréquemment à l’avenir et que l’agro-industrie brésilienne traverse une crise, une grande partie des terres serait alors remise à des investisseuses et des investisseurs internationaux.

L’UBS s’en mêle

Une enquête publiée le 25 septembre 2022 par la Société pour les peuples menacés montre que l’UBS participe à ce business (vidéo en allemand avec sous-titres anglais et article de la Sonntagszeitung en allemand). L’EPER a soutenu cette enquête, menée en grande partie par le Center for Climate Crime Analysis, une institution internationale. L’accaparement des terres est un thème essentiel pour l’Entraide Protestante Suisse (EPER). Il est donc crucial de comprendre et de montrer comment les modifications législatives favorisent ce phénomène et comment des produits financiers particulièrement complexes permettent de le dissimuler. En fin de compte, cette méthode permet de transmettre discrètement et de plus en plus facilement la propriété des terres à quelqu’un d’autre. Le plus souvent, ces dernières sont alors remises aux mains d’investisseuses et d’investisseurs pour leur profit, et arrachées aux personnes qui les cultivent et en vivent.

Pour les grands groupes, il n’y a pas de règle contraignante en matière de normes environnementales et de droits humains.

Les CRA sont souvent présentés comme des investissements verts dans l’agriculture durable. En théorie, ils permettent aux petites exploitations agricoles d’obtenir facilement du capital et de l’investir durablement, Mais les CRA ne sont pas soumis à des normes de durabilité. Et dans les faits, ce sont surtout les grands groupes qui ont recours à ces produits, car ils peuvent offrir les garanties nécessaires. C’est notamment le cas de l’entreprise Syngenta, spécialisée dans les pesticides, ou du géant de la viande bovine Marfrig. Les grandes entreprises ne sont toujours pas soumises à des règles contraignantes en matière de normes environnementales et de droits humains. Pour que les choses changent, signez la pétition à l’intention de Karin Keller-Sutter.

Au Brésil, l’accaparement des terres est issu d’une tradition de longue date. La réalité sur place est souvent brutale et destructrice. Le monde chatoyant des banques et leurs produits d’investissement sont rarement mis en lien avec cette réalité. Il est donc d’autant plus important de montrer que les lois et les produits financiers soi-disant durables peuvent parfois cacher des opportunités d’accaparement des terres.

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