La culture de l’iniquité fiscale : le rapport Socfin

Un nouveau rapport publié par Pain pour le prochain, Alliance Sud et par le Réseau allemand pour la justice fiscale sur la stratégie fiscale du groupe agroalimentaire Socfin révèle comment les multinationales peuvent transférer leurs bénéfices des pays d’Afrique et d’Asie où sont produites les matières premières vers des paradis fiscaux tels que la Suisse. Les stratégies appliquées par ces groupes sont iniques, même si elles peuvent être conformes aux règles de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Ces pratiques de l’optimisation fiscale agressive équivalent à l’expatriation de bénéfices au détriment de la population des pays de production.

Société agro industrielle dont le siège se trouve au Luxembourg, le groupe Socfin produit et commercialise du caoutchouc et de l’huile de palme issus de près de 400 000 hectares de concessions en Afrique et en Asie. En moyenne, le groupe Socfin a réalisé EUR 41 millions de bénéfices par an de 2014 à 2020. En 2010, il a déménagé sa direction en Suisse et y a constitué plusieurs filiales, apparemment pour des raisons fiscales. Ces filiales situées dans le paradis fiscal helvétique réalisent des millions de bénéfices.

Ce nouveau rapport a analysé les rapports financiers de Socfin pour définir les itinéraires possibles empruntés pour transférer les bénéfices. Il corrobore ses conclusions en comparant les bénéfices par employé : ceux-ci sont le plus élevés là où les impôts sont le plus bas. Dans les pays africains où Socfin est active, l’impôt sur les bénéfices des entreprises varie de 25 à 33 % et les bénéfices par employé·e ne dépassent pas EUR 1642. En Suisse en revanche, où le taux d’imposition est inférieur à 14 %, les bénéfices par employé·e peuvent atteindre EUR 116 000.

À l’échelle mondiale, environ EUR 80 milliards de bénéfices sont transférés chaque année des pays du Sud vers des pays à faible fiscalité comme la Suisse. Même s’ils ne sont pas nécessairement illégaux, le transfert de bénéfices et l’optimisation fiscale agressive sapent les efforts déployés pour instaurer la justice dans le monde et réduisent la marge de manœuvre budgétaire des États pour s’acquitter de leurs obligations en matière de droits humains. Selon Paul Larry George, président de l’Alliance pour la démocratie rurale au Liberia, où Socfin a des plantations, « il est important de savoir que le Liberia ne tire pas le maximum de bénéfices de l’extraction de ses ressources naturelles. L’optimisation fiscale agressive est l’une des causes du problème et contribue à maintenir le pays dans la pauvreté, notamment lorsque les structures des entreprises sont principalement conçues pour profiter des régimes fiscaux favorables d’autres pays. »

Dans les trois pays où Socfin est présente et qui sont étudiés dans le rapport (Liberia, Sierra Leone et Cambodge), les propriétaires des plantations sabrent les coûts de production et sont très regardants à la dépense pour le loyer des terres qu’ils prennent à ferme, le prix des arbres de culture qu’ils abattent, le salaire des travailleuses et des travailleurs qu’ils embauchent et les mesures de responsabilité sociale qu’ils promettent. Les bénéfices ainsi générés finissent en grande partie en Suisse, indique l’étude. Il est donc d’autant plus urgent que Socfin entende les appels des communautés locales, par exemple en leur restituant les terres contestées, en respectant leur environnement, en veillant à ce que des salaires décents soient versés à tous les travailleuses et des travailleurs des plantations et en cessant de bafouer les droits humains.

Dans le monde entier, les lois fiscales permettent aux entreprises de transférer leurs bénéfices là où les impôts sont les plus bas. La Suisse doit modifier ses règles fiscales spéciales qui incitent les multinationales comme Socfin à expatrier leurs bénéfices. En outre, tous les gouvernements devraient passer à un système d’imposition des bénéfices dans les pays où ils sont générés par les travailleuses et les travailleurs.

Signataires : 

Pain pour le Prochain, Suisse

Alliance Sud, Suisse

Netzwerk Steuergerechtigkeit, Allemagne

Alliance for Rural Democracy, Libéria

JUSTICITIZ, Libéria

Green Advocates International, Libéria

Natural Resource Women’s Plattform, Libéria

Green Scenery, Sierra Leone

Malen Land Owners and Users Association (Maloa), Sierra Leone

Sierra Leone Network on the Right to Food (Silnorf), Sierra Leone

The Bunong Indigenous People Association (Bipa), Cambodge

Community Forest Watch, Nigeria

Jeunes Volontaires pour l’Environnement (JVE), Côte d’Ivoire

Union des Villages Déguerpir (UVD), Côte d’Ivoire

Synergie Nationale des Paysans et Riverains du Cameroun (Synaparcam), Cameroun

Réseau des Acteurs du Développement Durable (RADD), Cameroun

Youth Volunteers for Environment, Ghana

GRAIN

ReAct Transnational, France

Association Française d’Amitié et de Solidarité avec les Peuples d’Afrique (AFASPA), France

SOS Faim, Luxembourg

FIAN Belgium, Belgique

Milieudefensie, Pays-Bas

Creatives for Justice, Suisse

Rainforest Rescue, Allemagne

Attac, Allemagne