Interview: Corina Bosshard
Photographe: Georg Tedeschi, Thomas Freteur
L’Agenda 2030 s’est fixé pour objectif d’éliminer la faim et toute forme de malnutrition dans le monde d’ici 2030. Où en sommes-nous avec cet objectif ? Est-il réalisable ? Où en est la situation alimentaire mondiale ?
Malheureusement, elle n’est pas très réjouissante. Après avoir diminué de façon continue pendant des années, le nombre de personnes souffrant de la faim est reparti à la hausse depuis 2014. Les principales raisons de cette augmentation sont le changement climatique et ses répercussions sur les récoltes de nombreux produits vitaux. En conséquence, les prix des denrées alimentaires augmentent et deviennent inabordables pour nombre de personnes.
Quels ont été les effets de la pandémie de COVID-19 sur la situation alimentaire des pays du Sud ? Que constatez-vous dans le cadre des projets de l’EPER ?
En raison de la pandémie de COVID-19, environ 120 millions de personnes de plus ont souffert de la faim en 2020. Bien des personnes ont perdu leur emploi à cause des mesures liées à la pandémie telles que le confinement ou le couvre-feu. Parmi les plus démunies, beaucoup travaillent de manière informelle et n’ont aucune couverture sociale. En outre, nombre de marchés locaux ont été fermés, ce qui a eu des conséquences désastreuses pour bien des familles paysannes, mais aussi pour les consommatrices et les consommateurs.
Dans le cadre de projets au Soudan du Sud et au Bangladesh, j’ai pu m’entretenir brièvement avec des personnes sur le terrain, qui m’ont informé que la pandémie avait fortement aggravé la situation déjà tendue dans ces deux pays.
Fin septembre aura lieu le Sommet des Nations Unies sur les systèmes alimentaires. Certaines œuvres d’entraide sont toutefois critiques vis-à-vis de ce sommet. Pourquoi ? C’est pourtant une bonne chose que ce sujet soit abordé à l’échelle internationale, non ?
C’est une très bonne chose. Il est essentiel de s’attaquer au problème de l’alimentation au sens large. Quant à cette nouvelle désignation de « systèmes alimentaires », elle est, elle aussi, pertinente. Là n’est pas la critique.
Ce qui est critiqué, c’est avant tout l’origine de ce sommet : il n’est pas le fruit d’une initiative des comités de l’ONU concernés, qui auraient eu la légitimité démocratique pour convoquer un tel sommet, mais plutôt d’un accord fait plus ou moins « dans les coulisses » entre le Forum économique mondial et le Secrétaire général de l’ONU.
Le Comité de la sécurité alimentaire mondiale (CSA), dont le siège se trouve à Rome, a ainsi perdu son rôle moteur dans la définition de la politique alimentaire mondiale. Ce constat est préoccupant, car, outre des actrices et des acteurs multilatéraux et des représentant.e.s du secteur privé, le CSA regroupe aussi des représentant.e.s de la société civile, qui peuvent faire entendre la voix des petits paysans.
Sous sa forme actuelle, le sommet affaiblit considérablement la position prédominante de la société civile au profit des entreprises multinationales. Les familles paysannes, qui sont à l’origine d’environ 70 % de la production alimentaire mondiale, sont sous-représentées. C’est à ce problème que nous souhaitons remédier.