9 janvier 2024

Braver la tempête en gardant espoir

Nous vivons une époque agitée et angoissante. Les statistiques le confirment. Le Heidelberg Institute for International Conflict Research (Institut de recherche en conflits internationaux de Heidelberg, HIIK), a fait état de 363 conflits en 2022, dont 216 étaient des conflits armés. Selon la définition usuelle, 21 étaient des guerres à proprement parler. Pourtant, la plupart des régions touchées par la guerre sont à peine mentionnées par les médias. Résultat : nous connaissons peu de choses sur le contexte entourant ces conflits et sur leurs répercussions souvent catastrophiques pour la population civile touchée.  À l’inverse, d’autres confits font constamment les gros titres, soit parce qu’ils surviennent en Europe, c’est-à-dire à deux pas de chez nous, et que cette proximité nous inquiète (Ukraine), soit parce qu’ils nous touchent particulièrement en raison de leur contexte historique particulier (Israël/Palestine). Ici comme ailleurs, la cruauté et l’ignorance humaines pourraient nous laisser sans voix, et surtout nous priver d’espoir.

L’écrivain et activiste israélien pour la paix David Grossman décrit très bien le sentiment qui me traverse parfois quand je suis confronté, en tant que directeur a.i. de l’EPER, aux photos et aux reportages sur la misère et la détresse générées par les conflits dans les pays de nos projets : « Pour moi, essayer de garder espoir en pleine guerre revient à tenter de braver une violente tempête avec une bougie à la main. »

Neujahrwünsche 2024

Heureusement, il y a suffisamment de moments où les mots de la détentrice sud-africaine du prix Nobel de littérature Nadine Gordimer, décédée en 2014, m’aident à tenir. Un jour, elle a fait cette confession : « Je refuse d’être sans espérance. » Cet aveu, qui aurait pu être pris pour de l’entêtement, découle de ses propres expériences de résistance face au violent régime de l’Apartheid sud-africain. Si ce régime a pu être aboli de manière presque entièrement pacifique au début des années 1990, c’est justement parce que des personnes comme Nelson et Winnie Mandela ou l’archevêque Desmond Tutu n’ont jamais perdu espoir en la paix et la réconciliation, même durant les périodes les plus sombres de violente oppression raciale, et malgré plusieurs décennies de détention dans des cachots et de torture.

Dans l’histoire de l’humanité, il existe bien d’autres exemples où le courage, la détermination et la persévérance ont pu prendre le pas sur l’indifférence ou la résignation. Et où ces valeurs ont pu mettre un terme à la violence voire, dans certains cas, permettre une paix durable entre deux ennemis qui semblaient autrefois irréconciliables. Ces exemples devraient nous inciter à ressentir un espoir légitime : l’espoir que notre vision d’un monde plus pacifique et plus juste ne reste pas une illusion, mais qu’elle puisse devenir un jour réalité. Bien sûr, le chemin pour y parvenir est semé d’embûches et il y aura toujours des échecs plus ou moins importants. La paix et la non-violence ont un prix.  

À l’EPER, notre engagement pour la paix et la justice repose consciemment sur le principe suivant : « Petits moyens, grands effets ». Dans nos programmes et nos projets, nous misons sur un travail étape par étape mené dans des zones limitées, afin d’améliorer les conditions de vie des personnes de manière ciblée. Cela ne nous réussit pas toujours, mais c’est souvent le cas, et nos succès sont mesurables. Ces expériences positives, ainsi que les leçons que nous tirons de nos échecs, nous poussent et nous motivent, nos organisations partenaires, les personnes concernées par nos projets et nous, à poursuivre le chemin que nous avons commencé malgré les revers. Et plus il y a de gens qui nous rejoignent sur ce chemin, ce qui advient au fil du temps, plus nous pouvons induire des changements positifs et durables, avec chaque fois un impact plus large et plus fort, mais aussi plus rapide – pour que toutes les personnes puissent vivre dans la dignité, la paix et la justice.

Dans cet esprit, je vous souhaite de tout cœur une bonne et heureuse année 2024, sous le signe de la paix, et vous remercie également pour votre soutien précieux et essentiel.


Bernard DuPasquier, directeur a.i.