Communiqué de presse du 4 juillet 2023

Recours à la Cour européenne des droits de l’homme gagné par le SAJE

Dans son arrêt rendu le 4 juillet, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) condamne la Suisse dans trois affaires sur quatre où le Secrétariat d’État aux migrations a refusé d’octroyer un regroupement familial à des personnes car elles dépendaient partiellement de l’aide sociale. Le Service d’Aide Juridique aux Exilé·e·s (SAJE) est à l’origine de deux recours, l’un ayant été gagné. 

Quand une personne se voit octroyer un statut de protection parce qu’elle a dû fuir, elle peut obtenir un permis B ou une admission provisoire, avec ou sans le statut de réfugié. Les titulaires d’un permis B réfugié peuvent faire venir leur famille nucléaire, dont ils ont été séparés par la fuite, sans aucune condition. En revanche, les personnes qui n’obtiennent qu’une admission provisoire doivent attendre deux ans avant de pouvoir faire la demande et doivent pouvoir assurer l’autonomie financière de la famille.
SAJE

L’arrêt rendu par la CEDH aborde la conformité aux droits humains des conditions au regroupement familial posées par le droit suisse. Dans ces quatre situations, l’autonomie financière était insuffisante. Dans la première situation, il s’agit d’un homme qui cherchait à faire venir son épouse et leurs quatre enfants. Il était autonome financièrement, mais ne l’aurait plus été en présence de sa famille. Dans le second cas, la requérante est une mère célibataire qui élève ses trois enfants et travaille à 50%. Elle cherchait à faire venir sa fille aînée. Dans la troisième situation, il s’agit d’une mère invalide qui cherchait à faire venir sa fille restée au pays. Dans la quatrième situation, il s’agit d’une femme qui cherchait à faire venir ses deux filles et qui n’a jamais pu travailler en Suisse en raison de graves troubles psychiques, mais dont l’invalidité n’a pas été reconnue.

Dans ces quatre affaires, la Cour procède à une pesée des intérêts en présence entre les intérêts des demanderesses et des demandeurs à pouvoir vivre réunis auprès de leurs familles (respect de la vie familiale et privée, article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme) et les intérêts de la Suisse à contrôler son immigration et les coûts liés.

La Cour a jugé que dans les trois premières situations, on ne pouvait pas demander aux requérant·e·s de faire plus et que la Suisse avait donc violé l’article 8 de ladite convention en refusant le regroupement familial. En revanche, dans la dernière situation, elle a jugé que la requérante aurait dû faire plus d’efforts pour obtenir son autonomie financière, et que la Suisse n’avait donc pas violé l’article 8. La Cour rappelle aussi que ces procédures doivent être traitées avec toute la célérité possible.

L’Entraide Protestante Suisse (EPER) salue cet arrêt de la Cour qui, entre les lignes, rappelle que les personnes qui fuient leur pays dans un contexte de persécutions et de guerre sont très souvent contraintes d’exercer des emplois précaires, qui leur permettent peu de concilier vie familiale et professionnelle et qui leur procurent de bas salaires. La Cour tient donc compte de la situation réelle de ces personnes plutôt que des exigences abstraites des textes de loi. L’EPER regrette toutefois que la situation de détresse personnelle de la dernière requérante n’ait pas été suffisamment prise en compte pour expliquer son absence d’autonomie financière. Sur le fonds, l’EPER déplore la différence de traitement entre les permis B et les admissions provisoires, sachant que la famille ne peut pas se réunir dans un autre pays que la Suisse et que la réunification des familles est un facteur clé de l’intégration des personnes.

Joëlle Herren
Contactez-moi
Joëlle Herren

Téléphone direct : 021 613 44 59
Mobile : 078 661 08 97

Quatre questions à Karine Povlakic, représentante juridique du SAJE

  1.  Deux des quatre plaintes pour lesquelles la CEDH a publié un arrêt le 4 juillet avaient été déposées par le SAJE. Le SAJE fait-il souvent des recours auprès de la CEDH - pourquoi ?
Le SAJE ne fait que rarement des requêtes à la Cour, car les chances de succès sont très minces et la procédure est très longue. Il faut qu’il y ait une question juridique de principe qui concerne beaucoup de dossiers. Nous parlons dans ce contexte de gestion stratégique des processus.
 
  1. Pourquoi le SAJE a-t-il déposé plainte auprès de la CEDH dans ces deux cas ?
Le SAJE a déposé deux requêtes, car il s’agissait de deux situations différentes. Un cas concerne le regroupement familial pour les réfugié·e·s reconnus, en cas d’absence d’autonomie financière. Dans ce cas, la CEDH a accepté la requête. Le second cas concerne les différences de traitement pour le regroupement familial entre les réfugié·e·s reconnus avec un permis F et les réfugié·e·s avec un permis B. Ici, la CEDH a malheureusement rejeté la plainte.
 
  1. Qu’est-ce qui change concrètement pour la plaignante dans la première affaire à la suite de cet arrêt positif ?
La Suisse est liée par la décision de la Cour et doit l’appliquer. La requérante devrait pouvoir faire venir sa fille en Suisse. La demande de regroupement familial pour cette enfant a duré 13 ans. La première demande était adressée à l’autorité compétente en 2010.
 
  1. Cet arrêt a-t-il également une influence sur la jurisprudence future en Suisse ?
Oui. Les personnes admises à titre provisoire pourront obtenir le regroupement familial à l’avenir, même en l’absence d’autonomie financière. La Suisse devra examiner précisément la cause de la dépendance (partielle) de l’aide sociale et en tenir compte dans sa décision. Cela améliore les chances d’obtenir le regroupement familial, notamment pour :
  • les familles nombreuses lorsque le salaire d’un seul parent qui travaille à 100 % n’est pas suffisant pour une autonomie financière ;
  • les personnes qui sont en incapacité de travail à 100 % et dont la rente AI est insuffisante ;
  • les parents isolés qui ne travaillent qu’à temps partiel mais qui montrent ainsi une volonté d’intégration dans la limite de leurs facultés. Dans le cas représenté par le SAJE, il s’agissait d’une femme somalienne illettrée et sans formation professionnelle. La Cour a jugé qu’elle avait fourni tous les efforts que l’on pouvait attendre d’elle en occupant un emploi de femme de ménage à 50 %, et que l’absence d’autonomie financière ne pouvait lui être reprochée.