Eukalyptuswald
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Article de blog de Silva Lieberherr et d’Anna Haselbach du 01.03.2024

De l’arbre planté au certificat de CO2

De l’arbre planté au certificat de CO2

Nombre d’entreprises promettent de planter des arbres pour compenser leurs émissions de CO2 Pourtant, elles ne plantent pas elles-mêmes ces arbres, mais investissent simplement dans des projets de reboisement. Autrement dit, elles achètent la compensation de leurs émissions par les arbres sur le marché mondial du carbone. Mais comment peut-on « acheter » le CO2 stocké dans un arbre ? Quelles actrices et quels acteurs sont impliqués dans ce commerce et à qui profite-t-il ? Zoom sur cette « chaîne de valeur ajoutée » controversée.  

Au début de cette chaîne, il y a un arbre nouvellement planté. Par exemple, un eucalyptus en Sierra Leone. Ce pays d’Afrique de l’Ouest est souvent choisi par les organisations et les entreprises qui mènent des projets de reboisement. « De plus en plus d’entreprises et d’organisations sont à la recherche de terres en Sierra Leone pour planter des arbres », confirme Lansana Sowa, chargé de programmes dans l’organisation partenaire de l’EPER Sierra Leone Network for the Right to Food (SiLNoRF).  
Portät von Anna Haselbach und Silva Lieberherr
Anna Haselbach und Silva Lieberherr

Anna Haselbach arbeitet bei HEKS als Campaignerin, Silva Lieberherr ist für das Thema Landgrabbing verantwortlich.

Ces calculs sont complexes et coûteux. 

L’organisme à l’origine du projet – qu’il recherche ou non le profit – est responsable de la planification et de la réalisation des plantations. Pour introduire son projet sur le marché mondial du carbone, il doit calculer la quantité de CO2 que stockent les arbres plantés pendant une durée déterminée. On estime qu’une fois passée la première phase de croissance, un arbre absorbe en moyenne quelque 25 kg de CO2 par an. La quantité de CO2 que peut absorber l’eucalyptus planté en Sierra Leone dépend de facteurs très variés, qu’il faut évaluer et prendre en compte. Ces calculs sont tellement complexes et coûteux que certaines organisations et entreprises engagent des prestataires pour les effectuer à leur place.  

Ces opérations ne sont pas nécessairement fiables, car elles reposent sur des estimations et des projections. Personne ne peut prédire avec certitude comment l’eucalyptus et son environnement évolueront, ni si l’arbre ne sera pas victime d’un incendie, d’une sécheresse ou de ravageurs ou s’il ne sera pas finalement abattu. Le risque est donc grand que la quantité de CO2 véritablement absorbée par l’arbre diffère du résultat attendu. 
 

Le bilan carbone de notre eucalyptus a désormais un prix. 

L’entreprise ou l’organisation à l’origine du projet mandate ensuite un organisme indépendant de certification pour valider le bilan carbone estimé et certifier le projet. « Voluntary Carbon Standard », de l’organisation états-unienne Verra, ou « Gold Standard », délivrée par la fondation éponyme, sise à Genève, comptent parmi les certifications les plus connues.  

Cet examen est tout aussi complexe que les calculs initiaux. Plusieurs études révèlent en outre que nombre de projets de compensation carbone extraient moins de CO2 de l’atmosphère qu’indiqué dans les certificats. Toutefois, une fois la certification obtenue, le stockage du CO2 estimé de notre eucalyptus en Sierra Leone est commercialisable sur le marché mondial du carbone. Le bilan carbone de notre eucalyptus a désormais un prix.  

Ils vendent aux entreprises des certificats de compensation du CO2. 

Arrivent alors les « courtiers », comme les fondations suisses MyClimate ou South Pole, qui vendent principalement des certificats de compensation du CO2 aux entreprises des pays du Nord, c’est-à-dire aux « consommatrices » et aux « consommateurs » finaux des certificats. Le bilan carbone de notre eucalyptus peut désormais être négocié, comme un titre. L’organisation ou l’entreprise à l’origine du projet ne sait donc pas qui achète les crédits carbone générés par son arbre pour les inscrire dans son bilan carbone. Mais la consommatrice ou le consommateur final·e peut désormais afficher, d’un point de vue purement arithmétique, un bilan de zéro émission nette, se considérer comme « neutre en carbone » et dire : « Vous pouvez sans crainte acheter chez nous, nous ne nuisons pas au climat. »  
 
Revenons à notre eucalyptus en Sierra Leone. Tant qu’il existe, il absorbe en effet du CO2, et c’est une bonne chose pour le climat. Ce qui est moins bien, en revanche, c’est que son bilan carbone se voit attribuer une valeur monétaire et compense les émissions d’une entreprise. Trop souvent, la compensation carbone sous forme de stockage de CO2 sert de prétexte pour remettre à plus tard des mesures de réduction des émissions nécessaires de toute urgence. 

Sur quelles terres l’arbre se trouve-t-il ? 

Par ailleurs, le calcul ne joue pas à une autre échelle : si l’on en croit les promesses toujours plus nombreuses de zéro émission nette de la part des États et des entreprises, ce ne sont pas des centaines, mais des centaines de milliers d’arbres qui devraient bientôt pousser à côté de notre eucalyptus. Mais sur quelles terres ? Étant donné la popularité croissante de la compensation carbone, le besoin de terres pour le reboisement augmente rapidement en Sierra Leone et dans d’autres pays du Sud global. Lansana Sowa de SiLNoRF l’affirme : « De plus en plus souvent, des entreprises dépossèdent des familles paysannes de leurs terres, sans négociations ni contrat valable, afin de les utiliser pour des projets de compensation carbone. »  

Il n’est pas le seul à être préoccupé par cette évolution : SiLNoRF et l’EPER aussi s’en alarment. En effet, les deux organisations savent d’expérience ce que signifie l’accaparement des terres à grande échelle pour les familles paysannes qui vivent sur et de ces terres – que ce soit pour l’exploitation de palmiers à huile, de canne à sucre ou de caoutchouc. Comment se déroulent ces transactions foncières ? Quelles répercussions ont-elles sur les communautés locales et comment les populations concernées font-elles valoir leurs droits ? Vous pourrez le découvrir dans le prochain article de blog de Silva Lieberherr, spécialiste du droit à la terre à l’EPER. 
 

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