Terres à vendre, justice bafouée
Les mécanismes sont souvent similaires, que les terres soient destinées au commerce d’huile de palme ou de canne à sucre, ou encore au négoce de certificats de CO2
Pour bien comprendre les mécanismes d’accaparement des terres, prenons l’exemple de plantations de cannes à sucre. En 2010, un milliardaire genevois décide de cultiver de la canne à sucre en Sierra Leone, afin d’exporter de l’agrocarburant en Europe. Son projet, qui a fait faillite et a été revendu depuis, est alors considéré comme un modèle en termes de développement durable et social par les investisseuses, les investisseurs et les banques de développement.
Le milliardaire en question connaît le président (à l’époque) du Sierra Leone, car ils ont déjà fait affaire ensemble. Les deux signent une déclaration d’intention, connue sous le nom de « mémorum d’entente » (MoU), afin de mener à bien le projet d’affermage. Pour les habitant·e·s du Sierra Leone, ce projet est donc dès le début le « bébé du président », ce qui a une influence sur leur vision.
L’entreprise se tourne alors vers les « chefs suprêmes » (paramount chiefs) de la région. Considérés comme une structure de pouvoir parallèle à l’État, ces chefs sont habilités à prendre des décisions sur les terres.
En contrepartie des terres, l’entreprise du milliardaire leur promet des hôpitaux, des écoles et des emplois. Une fois qu’elle a conclu l’affaire avec les chefs, la société contacte les familles propriétaires des terres avec leur aide. Pleines d’espoirs quant aux promesses de la société, ou tout simplement sous pression, la plupart acceptent d’affermer (louer) leurs terres.
Les négociations ne sont clairement pas favorables à la population locale
En règle générale, les familles propriétaires des terres sont insatisfaites des mesures de dédommagement, comme la compensation des arbres présents sur une parcelle. Elles soupçonnent les entreprises de ne pas le faire de manière honnête. Les négociations sur ces mesures de dédommagement et le prix d’affermage ne sont clairement pas favorables à la population locale.
Dans certains cas, les propriétaires des terres ne sont tout bonnement pas impliqués dans les pourparlers. L’entreprise négocie directement avec le gouvernement et les propriétaires ne touchent que la moitié du prix d’affermage. L’autre moitié est reversée aux chefs suprêmes et aux gouvernements local et central. Le prix d’affermage (quand il est versé) est de toute façon rarement assez élevé pour remplacer les terres perdues.
Les terres représentent un moyen de subsistance pour les personnes.
Pour ces personnes qui vivent dans la précarité, les terres représentent un moyen de subsistance et un revenu régulier. En les perdant, elles perdent la possibilité de cultiver des denrées alimentaires et d’accéder au bois comme matériel de construction, aux plantes médicinales et à l’eau. Qui plus est, des régions entières dépendent ainsi d’un seul produit – ici, la canne à sucre – ce qui représente un risque de taille.
Kediatu Kamara et Abu Bakar Bangura, de Port Loko en Sierra Leone, ont perdu leurs terres au profit d’une entreprise productrice d’huile de palme. S’il s’agit ici d’une autre affaire que celle de l’article, l’accaparement des terres à grande échelle se déroule partout de manière similaire.
Les droits fonciers sont certes complexes, mais la problématique des terres est une question de justice. C’est pour cette raison que l’EPER soutient les communautés locales qui luttent contre l’accaparement des terres. Et cela porte ses fruits : parfois, les entreprises tiennent au moins une partie de leurs promesses, et les personnes parviennent à garder leurs terres.